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Titre exacte donné par le journal était: L’avenir du manga se joue-t-il en couleurs ?
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Au royaume du manga, le noir et blanc est roi. Mais, depuis quelques années, la couleur s’immisce de plus en plus dans ses terres, au grand dam des puristes. Nouvelle pierre dans leur jardin : pour fêter ses 40 ans, le manga le plus célèbre au monde, Dragon Ball, se voit colorisé dans une nouvelle édition disponible depuis le 15 mai en librairie. Décédé le 1er mars dernier, l’auteur Akira Toriyama avait donné son accord pour cette édition Full Color. Un scandale pour les uns, un signe des temps et un train à prendre pour les autres.
Apparues au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, prépubliées dans des magazines à un rythme bien spécifique (hebdomadaire, bimensuel ou mensuel), les BD japonaises visent depuis leurs débuts et par définition un public populaire. Pour assurer un coût moindre et un rythme soutenu, les dessinateurs comme les éditeurs se sont naturellement tournés vers une impression en noir et blanc, devenue depuis la griffe artistique du genre. C’est toujours le cas au présent, mais, lors de moments choisis, la couleur fait parfois son apparition dans les pages.
À LIRE AUSSI « Dragon Ball » : les clés du succès d’une saga de 35 ansLa mise en avant d’un manga par des pages en couleurs en début de chapitre est même devenue aujourd’hui la norme. Et un événement symbolique peut pousser à une colorisation totale. C’était notamment le cas de l’ultime chapitre de Naruto, prépublié en couleurs mais finalement imprimé en noir et blanc dans le volume relié. Aujourd’hui, les couleurs envahissent les mangas. Elles apparaissent à l’occasion de rééditions dites « deluxe », et certaines séries sont directement publiées en couleurs.
Les mangas en couleurs, équation délicate
Reno Lemaire est l’un des premiers auteurs français à avoir publié un manga. Dès ses premières discussions avec son éditeur, Pika Édition, le sujet de la couleur est évoqué. Pour Dreamland, l’œuvre de sa vie, sur laquelle il travaille depuis 2005, le mangaka tricolore avait des idées bien précises : « Dreamland est une série qui teste plein de choses et, quand je décide qu’une scène vaut le coup d’être publiée en couleurs, mon éditeur me l’autorise, mais je connais les coûts que cela implique. » Et ils ne sont pas moindres. Pour comprendre les obstacles qui séparent les mangas de la couleur, il faut déjà comprendre comment il se fabrique.
Que ce soit au Japon ou en France, ce format de bande dessinée est composé d’une succession de feuillets de seize pages, en général entre douze et quatorze. « C’est pour cela qu’on ne peut pas mettre une page de couleur en plein milieu, précise Reno Lemaire. Le feuillet en couleurs coûte moins cher s’il est au début ou à la fin. Si c’est au milieu, le livre connaît trois impressions différentes. » La popularité du manga est notamment due à son prix très accessible. Benoît Huot, éditeur chez Glénat, a supervisé l’édition Full Color de Dragon Ball. Selon lui, proposer un manga en couleurs est contre-productif si on ne réfléchit pas d’abord au lectorat visé et au format adopté.
« Pour imprimer des mangas, on utilise ce qu’on appelle un papier bouffant, épais mais léger, un peu comme du papier journal. Il supporte bien les charges d’encre assez prononcées, mais pas l’impression couleur. Il faut donc envisager un papier différent. » C’est cela qui fait gonfler le prix du livre, en plus de l’encre en couleurs. C’est pourquoi les œuvres entièrement colorisées sont surtout les rééditions de sagas cultes, comme Akira dans les années 1990 et Dragon Ball aujourd’hui. Reno Lemaire l’affirme : la couleur doit être utilisée comme un bonus, et non supplanter le noir et blanc : « Dans mon manga, la couleur est là pour que le lecteur retienne encore plus la scène. Avec son découpage unique, le manga a une dynamique telle que la couleur est un plus non indispensable. Un manga en couleurs coûterait 15 à 20 euros. Tout le modèle économique en serait biaisé. Le manga est ancré dans notre culture car il est rapide à produire et pas cher. »
Faire évoluer le manga sans le dénaturer
Pourtant, les mangas entièrement en couleurs sont de plus en plus nombreux, sans compter les rééditions : ReLife, Chi – Une vie de chat et Nights with a Cat sont des exemples parmi d’autres. Mais ces titres ont été directement créés en couleurs. Dragon Ball est avant tout un manga pensé pour le format noir et blanc, et sa colorisation a été assurée par un studio extérieur. Cela a fait tiquer certains fans, à commencer par Reno Lemaire : « J’aime les mangas car, contrairement à la BD ou au comics, c’est l’œuvre d’un seul auteur. Si Toriyama avait fait un manga en couleurs, j’aurais été le premier à l’acheter. Là, c’est du marketing. »
L’absence de couleurs a même été déterminante dans la légende de Dragon Ball. La transformation du Super Saiyan durant laquelle les cheveux de Son Goku deviennent blonds n’a pas été choisie au hasard. Un personnage blond voit ses cheveux devenir blancs dans un dessin dépourvu de couleurs, un temps précieux gagné à l’encrage ! D’autant plus quand on connaît la complexité de la tignasse du héros de Dragon Ball. C’est un exemple parmi tant d’autres, mais, selon certains, ajouter de la couleur à une œuvre pensée en noir et blanc risquerait forcément de la dénaturer.
Un aléa que Benoît Huot réfute : « Les Japonais ont un immense respect pour leurs auteurs, et le travail a été fait conjointement avec lui. D’ailleurs, de nombreuses communautés de fans de Dragon Ball réclamaient cette colorisation. Pouvoir profiter d’une édition encore plus vivante. » Selon l’éditeur, la France est même un client encore plus important pour ce type de remise au goût du jour. « Nous avons un rapport à l’objet livre beaucoup plus marqué. Les couleurs sont une sorte de bonus particulièrement appréciable. »
Le webtoon : la mutation du manga
Un point de vue partagé par Elsa Brants, également autrice de mangas. « Quand je suis fan d’une série, je veux posséder tout l’univers de l’auteur. J’ai été ravie quand j’ai vu qu’une version couleur des œuvres de Rumiko Takahashi (Ranma 1⁄2, Inu-Yasha, etc.) était éditée. C’est une demande des fans absolus d’une série, et ça restera un plus. » Durant les dix dernières années, un nouveau type de bande dessinée est venu grignoter des parts de marché au manga. Il s’agit du webtoon, des œuvres sud-coréennes nées sur Internet, en couleurs et dans une mise en page en canevas vertical à dérouler. Puisque le webtoon est exclusivement numérique (bien que les plus gros titres du genre soient aussi publiés au format papier), ajouter de la couleur ne génère aucun surcoût.
De leur côté, les éditeurs japonais sont de plus en plus nombreux à mettre leurs mangas à disposition sur des plateformes en ligne dédiées (Manga+ en tête). Pour Sébastien Célimon, spécialiste du webtoon et organisateur du premier festival dédié à ce genre en France, le manga pourrait muter grâce au numérique : « De la même manière que les Coréens, les Japonais feront le constat que la couleur ne sera plus un problème, mais un avantage. Les enjeux sont là, le modèle économique du manga en noir et blanc est très attractif, mais ils pourraient jouer sur les deux tableaux. »
Elsa Brants a bien compris les avantages que peut apporter le numérique à sa nouvelle série, Myrtis, disponible aux éditions Kana depuis le 22 mars. En plus de la version papier en noir et blanc, la coloriste de métier a également choisi de proposer une déclinaison en webtoon et en couleurs, pour le même prix. Un moyen pour l’autrice de toucher un tout nouveau public. « Je pense que les fans de mangas resteront sur le papier et que les fans de webtoons iront sur la version numérique. Il n’y a pas une version meilleure que l’autre. J’ai essayé d’adapter ma mise en scène pour qu’elle fonctionne en noir et blanc mais aussi en couleurs. C’est une nouvelle façon d’écrire mes histoires. »
Mais, à l’heure où les mangakas sont de plus en plus nombreux à s’exprimer sur leurs conditions de travail infernales et la répercussion de ce rythme de production sur leur santé, est-il vraiment nécessaire de doubler la charge de travail ? « Il y a une réflexion globale pour que l’œuvre puisse être publiée de la meilleure manière qui soit, ça prend en compte le rendu visuel, certes, mais aussi le rythme de publication », conclut Benoît Huot.
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